Près de 90 ans après l’arrivée de Zadkine aux Arques et 35 ans après la création des Ateliers, je propose de repartir de l’intuition que « quelque chose ici va venir » — en prenant notamment à la lettre la boutade « pas de pétrole bien sûr ».
Avec cette idée que ce qui va venir ici, aux Arques, et qui commence à venir ici et là, dans les campagnes, dans les territoires ruraux, ce sont des tentatives de sortie de la société thermo-industrielle, des façons d’expérimenter un autre mode de vie que celui de l’extractivisme et de la croissance, de la consommation et du développement, en prenant la pleine mesure de ce qui est déjà là et dont nous avons perdu la conscience : que la terre où nous vivons est la terre dont nous vivons. Que le lieu est la ressource.
Ce que nous dit Zadkine, c’est qu’il y aurait, d’un côté, quelque chose qui serait meurtri, qui serait parti ; et de l’autre, persistante, étayée sur un fort potentiel de ressources, la sensation que quelque chose de vif est à venir.
Ce mouvement, de balancement ou de tension, est plus généralement celui des territoires ruraux, qui connaissent à la fois des dynamiques de déprise et d’exode toujours à l’œuvre, et une nouvelle attractivité que la crise sanitaire a accentuée et qui s’accompagne d’expérimentations de plus en plus nombreuses.
Cette attractivité repose sur une réalité. Il y a aux Arques et dans les territoires ruraux des matériaux, des savoirs faire, des filières, des réseaux, des outils qui gagnent à être activés ou réactivés, non pas dans une logique de fermeture sur le local, de repli sur soi, mais au contraire d’expression d’un potentiel, de fertilisation et d’ouverture d’un territoire.
La résidence s’attachera ainsi à révéler le potentiel du lieu, c’est-à-dire le potentiel de la ressource, et plus précisément de la diversité des ressources ; à inventer une approche inclusive, généreuse, susceptible de composer avec les formes de vie aussi bien que les formes non-vivantes — infrastructures, matériaux — qui font l’originalité du territoire, et de faire trace.
Une telle ambition suppose que l’on se donne les moyens de prendre le temps de rester, de résider, comprendre le contexte, œuvrer à la récapitulation et à la réappropriation d’une histoire à partir de laquelle quelque chose peut à nouveau venir, sans céder sur l’équation de départ, selon laquelle le lieu est la ressource.
Parce que la ressource est plurielle, le groupe des 5 résident·es invité·es l’est aussi.
Ne se limitant pas au seul champ de l’art contemporain, il intègre la pratique du design, et plus largement les arts du faire et de la parole, du poème et du récit — pour esquisser de nouvelles façons de résider, c’est-à-dire d’habiter le monde.
Emmanuel Tibloux, janvier 2023