Collège RobinsonJournal de résidence

Work in progress

Performance de Jochen Dehn

Collège Robinson

20e résidence d'artistes

Du 20 Mars au 5 Sept. 2010

Cécilia Becanovic, Galerie Marcelle Alix

Présentation

Étonnamment l’ouverture de la résidence des ateliers des Arques coïncide avec le changement de saison. Nous sommes au début du mois d’avril, c’est la fin de l’hiver et les premiers signes du printemps transforment le paysage, les habitudes et les humeurs.



Que serait la résidence en plein coeur de l’hiver ? L’âpre paysage de l’ermite que seul le diable vient tenter ? Une retraite sans esprit d’entreprise sinon un goût immodéré pour l’aménagement de son propre confort ? Du temps libéré pour l’inaction?
Il est vrai qu’avant de commencer à habiter les Arques, la figure de Robinson Crusoé s’est imposée comme exemple de mise en oeuvre de tout un programme de gestes et d’initiatives (Robinson comme une histoire des techniques) le reliant spontanément à la notion d’exploration. Attribut incontournable de sa panoplie, son ombrelle de fortune contribue à faire de lui un personnage de la belle saison. Si nous avions songé à un être d’une toute autre nature, plus sensible aux rituels de l’hiver, peut-être aurions-nous pensé à Hans Castorp, le héros de La montagne magique de Thomas Mann, souffreteux pensionnaire d’un sanatorium où de nombreux savoirs se côtoient.
Contrairement au mécanisme infernal qui enchaîne notre « personnage de l’hiver » à une monotone et passive éternité, la survie de Robinson Crusoé dépend d’un échange dynamique avec l’environnement. Se croyant définitivement seul sur l’île, Robinson n’a d’autre choix que de formaliser ses connaissances.
À partir du moment ou Robinson aperçoit le vaisseau engravé par l’élévation de la marée sur un banc de sable à quelques lieues de la plage, il n’aura de cesse d’y retourner chaque jour (il effectuera onze voyages en radeaux) pour en rapporter tout ce qu’il juge utile ; et surtout tout ce qu’il est possible à un seul homme. C’est ainsi que parvenu à la fin de sa mission, interrompue brutalement par l’arrivée d’une nouvelle tempête, Robinson constate avec satisfaction qu’il n’est pas loin de posséder « le plus grand magasin d’objets de toutes sortes, qui, sans doute, eût jamais été amassé par un seul homme… ».
Ce n’est pas simplement le fait que Robinson veuille dépouiller le bâtiment pièce à pièce qui retient toute notre attention, mais comment, au milieu de ce bric-à-brac, grâce à ses astuces et à ses débrouillardises, l’homme seul est renvoyé à des codes sociaux qu’il va au fur et à mesure réinstaurer. Il bricole et réinvente la civilisation, articule rationalité scientifique et fiction, connaissances personnelles et matériaux disponibles.
Le jeu de va-et-vient entre les ateliers des Arques et le lieu de résidence des artistes contribue à rejouer la situation de Robinson, pris entre un morceau de culture en train de sombrer et une nature sauvage. Les artistes, comme Robinson, procèdent par accumulation et par emprunt. Comment ne pas suivre le chemin du naufragé ou ceux des artistes précédemment invités, et refaire, dans un premier temps, ce qui a déjà été fait ?
Les premiers jours, nous voyons tous les mêmes choses, nous agissons en véritables explorateurs curieux de leur nouvelle base. Ensuite, nous recréons presque à l’identique les situations et les espaces de travail dont nous avons l’habitude. Si nous n’étions pas des locataires (très privilégiés), nous aurions tendance à jouer la symétrie, comme le faisait Roland Barthes en dupliquant à la campagne sa bibliothèque parisienne pour ne pas perdre le fil de ses recherches.
À l’heure actuelle, chacun s’organise, se demande à quelle échelle intervenir, partage son temps entre la découverte de l’inconnu et l’assurance d’avoir encore des outils, des méthodes de travail. Différents savoirs se réunissent, se côtoient, frictionnent, et accompagnent le passage qui va de l’atelier vers l’extérieur.
Jochen Dehn explore régulièrement une grotte des environs à la recherche de Lascaux III, tandis qu’il imagine poursuivre une recherche aux accents anthropocentristes, en imaginant un dialogue entre une jeune femme et un âne, possible remake du film Au hasard Balthasar de Bresson transposé sous la forme d’une performance. Ernesto Sartori recherche les sites dont les configurations spécifiques lui permettraient de réaliser en 3D des portions du monde fait de plans inclinés qu’il développe depuis 2007. Virginie Yassef remonte à la source de ses recherches, longtemps soumises aux spéculations d’articles méticuleusement découpés dans les journaux, en travaillant sur le site paléontologique de Crayssac (La plage aux Ptérosaures), situé à proximité. Fasciné par le monde physique concret, Gyan Panchal répertorie des gestes et des traces, rassemble de nouveaux matériaux liés au paysage et aux pratiques locales. Bricoleur, collectionneur, touche-à-tout, Guillaume Constantin semble diriger ses recherches vers une forme d’autonomie de sa pratique de la photographie. Tandis que Julien Prévieux prépare à l’abri des regards un mystérieux projet dont je ne peux rien vous dire, Charlie Jeffery promène son vocabulaire formel et littéraire sur différents supports, parfois de fortune. Il peint des phrases, des perspectives et en profite pour étendre le répertoire de son groupe le Mud Orchestra. Adoptant les gestes de l’ingénieur, les méthodes de relevé du géomètre, Simon Boudvin pourrait être celui qui porte à notre connaissance la progression signifiante de Robinson de l’arbre à la grotte, de la grotte à la maison en pierre, en passant par la cabane dans les bois.
Cécilia Becanovic, mai 2010

Évènements


Les artistes

Guillaume Constantin

Né en 1974 à Saumur, vit et travaille à Paris
Le travail de Guillaume Constantin, né en 1974, se construit à partir d’anachronismes. Que ce soit dans les choix de matériaux (souvent semi-transformés), de types de supports, dans les sources utilisées ou bien les prélèvements et les déplacements qu’il propose, se pose la question de la matérialité de l’objet qui renvoie inévitablement à celle de
l’oeuvre d’art et de ses dérivés quotidiens.
Se déploient ainsi des oeuvres à la géométrie ambiguë qui ricochent les unes sur les autres en devenant tour à tour un jeu sur le médium, le support, un hommage, un détournement, une réappropriation.
Dernièrement, sa pratique de l’exposition procède d’un long jeu de construction où les contextes, les rencontres, les collaborations viennent modeler les propositions sculpturales qu’il fabrique alors spécifiquement. La matérialité de celles-ci amplifiant les jeux de tiroirs déjà engagés en amont.
Ainsi les displays intitulés Fantômes du quartz agissent quasiment comme les miroirs matériels des Everyday ghosts, photographies issues de la série éponyme. Des enjeux mémoriels et d’actualisations s’engagent ici fortement autour de ces questions de matérialités, de techniques et de contexte qui s’entremêlent pour mieux s’ouvrir.
Appropriation, recyclage, détournement et autres déplacements, transformations voire déformations habitent l’œuvre de Guillaume Constantin. Développant un travail essentiellement sculptural et d’installation, il conçoit régulièrement des displays ou réalise des interventions sur des dispositifs d’exposition préexistants, notamment muséaux, interrogeant le rapport à l’œuvre ou à l’objet, sa collection et ses modes de monstration comme de circulation, son histoire, au sein de différents contextes pouvant mettre en tension conservation et disparition, visibilité et absence. L’artiste remet ainsi littéralement en jeu l’exposition en même temps qu’il en propose une réécriture et une relecture, convoquant la mémoire et les traces du passé.
R.Brunel, A.Marchand et A-L. Vicente

Il a participé à de très nombreuses expositions collectives en France et à l’étranger et a, en outre, déjà bénéficié de plusieurs expositions personnelles dont notamment en 2014, PENSER LES OBJETS PAR LES BORDS au MAC/VAL à Vitry sur Seine, SI PERSONNE NE ME VOIS JE NE SUIS PAS LÀ DU TOUT au Cryptoportique de Reims dans le cadre de la
programmation hors-les-murs du FRAC Champagne-Ardenne ou encore LA CONSTANTE DES VARIABLES au CRAC-Languedoc-Roussillon à Sète (commissariat Noëlle TISSIER).
Programmateur arts visuels des Instants chavirés à Montreuil, il mène également des projets en tant que commissaire d’exposition.
Il est représenté par la galerie Bertrand Grimont depuis 2011.

Simon Boudvin

Né en 1979 au Mans.
Simon Boudvin a étudié aux Beaux-arts de Paris dans l’atelier de Giuseppe Penone et à l’école d’architecture de Paris-Malaquais. Il enseigne depuis 2007 dans différents établissements et actuellement à l’École nationale supérieure de paysage. Son travail émerge à la croisée de ces différents champs, attentif aux mutations des territoires qu’il parcourt. Il procède tantôt à leur relevé détaillé, tantôt à leur reconstitution, à l’exercice de leur description, à leur photographie. Ils font la matière de ses livres (Tyndo de Thouars, éditions P, 2015 ; Col de l’échelle, éditions P, 2018 ; Un nouveau musée, co-édition MER/Accattone, 2019 ; Ailanthus Altissima, éditions B42, 2020).
Ses travaux ont été présentés dans différents centres d’art en France (La Salle de bain, Lyon, 2010 ; Les Églises, Chelles, 2011 ; CREDAC, Ivry, 2012 ; CRAC Alsace, 2016 ; MRAC, Sérignan, 2016 ; Les Capucins, Embrun, 2018 ; SHED, 2019) et à l’international (Form Content, Londres, 2008 ; Project Art Center, Dublin, 2015 ; Extra City, Antwerp, 2016 ; Kunstraum, Düsseldorf, 2016 ; Fondation Eugenio Almeida, Evora, 2017 ; MAC, Montréal, 2017).

Jochen Dehn

Jochen Dehn, né en 1968, vit à Paris.
Sa pratique de performer prend les formes variées de performances théâtrales en appartement (2004), de combats dans la boue (Mud, 2005), de pièce pour actrice et éléphant (2005), de jeu avec les détecteurs de présence du Louvre (Liquid, 2006) ou d’un hommage à l’invention du velcro (I am you as an explosion, 2005). Par la mise en jeu du corps et de l’espace concret qui l’entoure, Jochen Dehn élabore des formes et des stratégies qui tendent à toujours mieux révéler des zones de contact et ainsi, à réduire la distance qui sépare les corps de ses possibles collisions. Il collabore régulièrement avec Frédéric Danos, Rekolonisation ou Gelitin entre autres.

Charlie Jeffery

Charlie Hamish Jeffery, né à Oxford en 1975, vit et travaille à Paris et Chassaygne (Bourgogne).

Son œuvre, animée d'humeurs et de forces contraires, entre croissance et destruction, pouvoir créateur et laisser-faire, prend des formes multiples, sculpture, peinture, poésie et performance en sont des composantes majeures. Il est diplômé de la Fine Art School of Reading University (Royaume-Uni).
Il a participé à de nombreux programmes de performances et expositions collectives en France et dans le monde, dont plus récemment au FRAC Nord-Pas de Calais (2017), au Centre d'art Les Capucins à Embruns ( 2016) ou Le nouveau festival au Centre George Pompidou (2015) Il a eu plusieurs expositions personnelles dont Le Quartier CAC à Quimper (2011) à la galerie Florence Loewy (2016, 2017,2018) à la Kunsthalle Lingen en Allemagne (2016) et récemment "La plupart des gens se trompent sur les choses '' à La salle de bains, à Lyon (2018)

Gyan Panchal

Né en 1973 à Paris, vit et travaille à Eymoutiers.
Depuis sa sortie de la Jan Van Eyck Academie (Maastricht, Pays-Bas), son travail a fait l’objet de nombreuses expositions personnelles : à la galerie Marcelle Alix à Paris, chez Jhaveri Contemporary à Bombay, à la Maison des Arts Georges Pompidou à Cajarc, à la galerie Edouard Manet à Gennevilliers, au Palais de Tokyo. On a également pu voir ses œuvres dans les collections du Centre Pompidou à Paris, à la Biennale d’Art Contemporain de Rennes, au Carré d’art de Nîmes, au Crédac à Ivry-sur-Seine, à la Villa Arson à Nice, à la Fondation Ricard à Paris. Il est également commissaire d’expositions (« Apartés » au Musée d’art moderne de la ville de Paris, « Être Chose » au Centre international d’art et du paysage de Vassivière).

Julien Prévieux

Né en 1974 à Grenoble, vit et travaille à Paris

Le travail, le management, l’économie, la politique, les dispositifs de contrôle, les technologies de pointe, l’industrie culturelle sont autant de « mondes » dans lesquels s’immisce la pratique de Julien Prévieux. A l’instar des Lettres de non-motivation qu’il adresse régulièrement depuis 2000 à des employeurs en réponse à des annonces consultées dans la presse, détaillant les motivations qui le poussent à ne pas postuler, ses œuvres s’approprient souvent le vocabulaire, les mécanismes et modes opératoires des secteurs d’activité qu’elles investissent pour mieux en mettre à jour les dogmes, les dérives et, in fine, la vacuité. Adoptant sciemment la posture de l’individu confronté à des pans entiers de la société qui, à bien des égards, se retrouvent déshumanisés, Julien Prévieux développe une stratégie de la contre- productivité, ou de ce que le philosophe Elie During nommait, dans un récent texte sur sa pratique, le « contre-emploi ».
Christophe Gallois

Ernesto Sartori

Né en 1982 à Vicenza en Italie. Vit et travaille à Nantes.
"Je pourrai essayer d'expliquer rationnellement pourquoi je m'intéresse à cette pente plutôt qu'à une autre, mais je préfère admettre que j'en suis tombé amoureux, et considérer mon travail comme une déclaration d'amour envers elle ».
Diplômé de l’École des beaux-arts de Nantes en 2007, Ernesto Sartori développe un univers fantasmagorique dont les règles spatiales ont la précision d’une recherche scientifique. Son travail est un jeu de représentations et de constructions, la rencontre inopinée de l’architecture, des mathématiques et de la fiction : une allégorie où chacun des personnages et des visiteurs semble être à même de définir son propre rôle, selon sa propre liberté d’action. L’artiste conçoit ses sculptures en bois comme les modules d’un espace architectural plus vaste, réalise des objets aux fonctions nouvelles ou inconnues et produit des dessins aux couleurs vives qui mettent en scène des personnages dont les silhouettes seraient humaines et animales, arachnéennes, rampantes ou bondissantes.

Virginie Yassef

Née en 1970 à Grasse, vit et travaille à Paris.
Inspirée par son environnement immédiat, Virginie Yassef prend un plaisir enfantin à dévoiler l’étrange beauté du monde qui nous entoure. Ses Scénarios Fantôme documentent des fragments de ce monde. Le titre même révèle la qualité éthérée et magique de ces oeuvres, qui consistent en de petites photographies souvent montées ensemble. Yassef traverse le paysage urbain comme un fantôme dérobant des «moments» pris au hasard avec son objectif. Chacune de ces images, minimales et pourtant fortement évocatrices, montre une partie d’une histoire en train de se dérouler. Le sens de l’intuition et de l’enthousiasme est également présent dans l’oeuvre Passe-Apache, un rocher hyper réaliste, réalisé en résine et à l’apparence étonnamment légère, que l’on pousse et qui révèle alors un passage secret. La conception de la réalité de Yassef repose toujours sur la ction. Le désir de transformer la réalité est en effet la base de la plupart de ses travaux. Comme elle l’af rme elle-même «c’est important de ralentir la vie. Ou de l’accélérer. En tout cas, de lui donner une autre qualité.» Dans ses vidéos, les gestes simples ont une apparence burlesque et les scènes de rue banales deviennent poétiques. En créant cet univers onirique, Yassef nous invite à être plus attentifs. L’oeuvre de Yassef a souvent pour point de départ des objets du quotidien, qu’elle détourne de façon ludique et ironique renversant littéralement l’idée convenue que le regardeur a de ces objets. Ceci est particulièrement évident dans sa sculpture Billy Montana, dont la combinaison entre l’étagère standard Ikéa – Billy – la plus vendue au monde et la marque de peinture aérosol – Montana – détourne le mode utilitaire de ces objets. En utilisant les 58 planches comprises dans le kit, l’étagère devient ainsi vaine, de même que la peinture, symbole de rébellion (jadis le médium privilégié des taggers et graffeurs), devient un outil d’industrialisation et de standardisation. Visuellement séduisant, l’absurdité de cette étagère inutilisable n’est pas seulement drôle mais également subversive. Yassef, avec un humour singulier, montre alors une fascination pour l’irrationnel et l’incongru.


Catalogue

Directrice de publication : Cécilia Becanovic
Graphisme : De Valence
Photographes : Alexandre Dimos, Aurélien Mole et Raphaël Zarka
Traductrice: Sheila Murphy
Éditeur : Les Ateliers des Arques, résidence d'artistes
Imprimeur : Escourbiac, France
Format : 26,6 x 18,2
Prix : 16 euros