L’art, ce n’est qu’un moyen de voir

→ Agir dans son lieu — 28e résidence d'artistes

Texte de Julie Crenn, critique d'art et commissaire d'exposition indépendante, invitée comme commissaire de la 28ème résidencece d’artistes aux Ateliers des Arques.

En 1962, Alberto Giacometti dit : « L’art, ce n’est qu’un moyen de voir ». Les artistes observent attentivement, bousculent, vont à la rencontre, déplacent le réel, les réels.

Aux Arques, je leur ai proposé de réfléchir, individuellement et collectivement aux réalités du monde paysan. En apparence, le contexte ne s’y prête pas vraiment : les terres sont argileuses, peu propices aux cultures céréalières, les élevages sont en voie de disparition, il reste quelques vaches et brebis. Nous sommes entouré.e.s de petites parcelles, de prairie majoritairement, des bois, énormément de bois. Les artistes ont décidé d’aller à la rencontre des paysans et des artisans, aux Arques et aux alentours. Sans vraiment quitter ce qui est, au fil des semaines, devenu notre lieu. Il nous a fallu comprendre ce lieu pour nous attacher à une dimension particulière, son versant paysan.

Petit à petit, ils.elles ont fait les marché, discuté avec les commerçants, les passants, les habitants. Ils.elles se sont approprié un lieu, un environnement, un écosystème. Ils.elles ont fait la connaissance d’une potière, d’un éleveur bovin à la retraite, d’un cultivateur de carex, d’un éleveur de brebis ou encore d’un champion de la tonte de mouton. Ils.elles ont installé une relation de confiance pour faire émerger une envie partagée : mettre en valeur un paysage, des gestes, un savoir-faire spécifique, une parole, des objets, un rapport à la nature, aux animaux, au temps. Les artistes sont parvenu.e.s à hybrider leurs pratiques aux situations rencontrées. Ils.elles ont notamment observé et compris le déplacement de pratiques spécifiques, de gestes, qui à travers le temps et les multiples évolutions du milieu paysan, se sont adaptés et transformés. La question de la transmission joue ainsi un rôle important dans leurs projets respectifs. En parlant de l’élevage, des paysans mobiles, de l’interdépendance entre l’humain, l’animal et le paysage, ils.elles nous amènent à penser et à voir les réalités paysannes d’un territoire. Des réalités qui, inévitablement, forment un écho à une situation globale a largement troublée.

À la conscience des difficultés, des résistances, des regrets, des fiertés et des résiliences, les artistes ont conjugué leurs histoires personnelles, l’empathie et la part sensible de leur engagement. Leurs œuvres restituent alors une expérience intimement liée à ce lieu au sein duquel nous avons souhaité agir ensemble.