Entrer dans des paysages altérés. Le dessein féral de Yannis Belatach
→ Résidence de recherche autour de la pratique du dessin — Du 04 au 30 Septembre 2024
Extraits du texte de Camille Prunet, Maîtresse de conférences en Théorie de l'art et pratiques de l'exposition.
Les boucles du Lot serpentent le territoire de la résidence artistique des Arques, imprimant un dessin fluctuant au cours des siècles à ce pays du sud-ouest de la France. Cette rivière témoigne, comme d’autres, de l’anthropisation des espaces, indiquant les entremêlements complexes formées par les actions humaines successives et par les évolutions terrestres spontanées. Yannis Belatach, qui y a travaillé quelques semaines à l’été 2024, manipule justement l’eau dans certains de ses dessins et dans ses peintures à la gouache.
(…) Dans son travail de dessin et de peinture, qu’il a plus particulièrement investi lors de cette résidence aux Arques, Yannis Belatach a travaillé des paysages altérés par notre surconsommation de matière et d’énergie –comme avec notre recours exponentiel aux très voraces intelligences artificielles.
(…) Les dessins sont réalisés au fusain, au crayon graphite, à la pierre noire et à l’eau. La pierre noire, légèrement scintillante, anime des figures que l’on identifie assez aisément: une grotte, une plante, un paysage. Sans être dystopiques, ces représentations nous plongent dans un univers mélancolique et atemporel. L’absence de repère géographique et de couleur participe à cette sensation de stase. (…) Quelque chose d’étrange ressort également de ces dessins: est-ce parce qu’il y a d’abord eu une photographie d’un site –comme la grotte de Cougniac –puis son traitement par une IA? Ces couches de processus renvoient aux complexités géologiques et biologiques qui constituent nos matières terrestres, transformées ou non. (…) Où est le modèle? Où est la copie? Ces questions renvoient à d’autres: qu’est-ce qui est naturel? Qu’est-ce qui ne l’est pas? soulignant les relations plus que les oppositions entre les catégories occidentales nature/culture.
(…) L’utilisation de gouttes d’eau pour les dessins ou de la gouache pour les peintures apporte également une certaine liquidité à l’image et une fluidification des formes, suggérant des contacts et interactions entre espèces qui débordent nos catégories scientifiques. Elle suffit à liquéfier nos repères et amène un très léger trouble, un petit rien qui discute les assertions d’un regard occidental habitué à pénétrer l’image et à conquérir l’espace visuel. Le dessin semble ainsi vivre. Les gouttes d’eau poussent les pigments et génèrent des formes ensuite investies par le dessin. Ces représentations se glissent entre figuration et abstraction, entre image numérique et image réalisée à la main, entre passé et futur.
(…) Si l’on regarde de plus près les œuvres de Yannis Belatach, les activités minérales et végétales qui règlent ces productions imprègnent la composition d’une temporalité non humaine; aucun animal, humain ou autre, n’apparaît. Cette esthétique se retrouve dans d’autres œuvres de l’artiste, vidéo et photo (Paysages consommés, 2023 ; Réminiscence future, 2024). (…) L’hybridation des médiums chez Yannis Belatach témoigne ainsi d’entremêlements entre nature et technique, qui ne dénoncent rien, mais interroge la façon de les penser ensemble dans le contexte écologique contemporain.