Les Arques et la sculpture 3

3e résidence d'artistes

Du 1 Avr. au 31 Août 1990

Thierry Raspail, conservateur de la préfiguration du Musée d'art contemporain de Lyon

Présentation

Aux époques désormais révolues des XIV - XVIIIème siècles, l'artiste couvre un champ d'action immense. Il est ingénieu, philosophe, inventeur et metteur en scène de mythes, journaliste, éducateur... Aucune autre image ne rivalise en quantité et qualité avec la sienne.



Au XXème siècle l'invention des formes et des images lui échappe à 95%. Il ne reste à l'artiste que l'acte créateur, archaïque et désuet. Dégagé d'un rôle séculaire qui était celui d'instruire de renseigner et documenter, l'art est devenu une branche de la connaissance spéculative. L'artiste, l'art n'ont pu resister à l'offensive technologique, à l'ingénerie scientifique; le génie est aujourd'hui génétique. L'art s'est en quelque sorte retiré du monde. Il est entré en réseaux. Cette défaite sociale est compensée par une extrême liberté, une plus-value créative sans précédent. A cela il y a trois étapes qui ont profondément transformé le sens de l'acte "créateur" : l'avènement de l'individualisme, du sujet et de l'utopie. En art le premier est le fait du Romantisme. Celui-ci en assurant par excès d'imagination le renouvellement des thèmes littéraires et de la peinture poussa l'individualisme jusqu'à une forme extrême, celle de "l'expression totale de l'artiste". Celle-ci misera désormais sur l'invention. Le second est donné par l'Impressionisme. Celui-ci sous couvert d'analyse rétinienne invente le sujet. Dès lors l'artiste, sujet et objet de sa propre découverte, oppose à la société sa propre conviction. Les critères d'appréciation jusque là normalisés sont désormais à inventer avec les oeuvres. Les trooisième est le produit des Avant-gardes. Au début du XXème siècle, simultanément en des points éloignés de la petite Europe, des individus mystérieux matérialisent sur des carrés de toile, sur ou avec des objets manufacturés ou non, récupérés ou inventés un Au-delà du monde. Ils inventent l'utopie. Désormais, l'art transcende le social. Il est à la fois objet d'introspection, de conscientisation et de comportement.

Conclusion l'art s'est éloigné du grand public.

Or, l'art constitue une des fonctions fondamentales des sociétés. Comme le langage il est une offre de communication et de compréhension, de partage. La création au XXème siècle pose le problème du jugement et celui plus crucial encore du public. Quel sort est fait à l'oeuvre d'art dans la société? Comment est-elle transmise, éventuellement reproduite, présentée ? Quel rôle joue-t-elle dans la vie de relation d'une époque, dans le développement des intuitions supérieures qui constituent la civilisation ? C'est à la fois un problème de commande, de marché de l'art et de l'intérêt que portent les hommes au contact plus ou moins régulier avec les oeures d'art". (Pierre Francastel, Histoire de la peinture française)
La question se résume à deux formules simples : comment l'existence de l'art en tant qu'art se rattache-t-elle à notre existence en tant que citoyen ? Un art peut-il être utile dans notre présent sans être dénaturé ?

C'est à ces questions, somme toute banales, que tente de répondre l'expérience des Arques. C'est l'analyse rapide de l'étrange staut social de l'artiste au XXème siècle et de l'art aujourd'hui, d'une part son aura hégémonique de démiurge au pouvoir symbolique intact, et d'autre part, son absenteïsme social, son éloignement de toutes les grandes décisions socio-politiques actuelles, qui guident l'opération. Ainsi le projet n'est pas fondé sur la production, sur l'érection d'un objet nouveau, la fabrication d'un produit de plus, mais sur la seule présence d'artistes. Les artistes sont là, mais en sont absoluement pas invités à produire. Ils n'ont d'obligation autre que celle d'être ce qu'ils sont. L'expérience emprunte plus à la dynamique de groupe qu'au propos artistique. L'intérêt du projet réside en deux, trois mots : l'aléatoire et la rupture de la continuité qu'il impose. des biographise jusque là éparses (celles des artistes invités) se trouvent ainsi déportées, mêlées pour un temps long en un lieu méconnu et isolé. Cela peut être étonnant ou catastrophique. "Ce qui me paraît si beau dans la vie, c'est qu'il faut peindre dans le frais. La rature est défendue." (Lafcadio, Les Caves du Vatican, Gide). C'est, de toute manière, accorder beaucoup d'importance à l'art et à l'artiste. Cette forme de respect est rare.
Est-elle naïve ? Est-ce que l'art intervient dans les grands enjeux du monde ? Que fait-il face aux montées tranquilles des facismes français, par exemple ? Que modifie-t-il dans le paysage urbain et dans la pensée ? A mon avis peu (cf. Supra). C'est pourquoi l'expérience des Arques frise l'inéffable. C'est sur ce terrain que la "lutte" est conduite. De fait il s'agit de l'imprégnation artistique d'un territoire. Elle serait chère à Klein. La population des Arques n'en attend aucun spectacle, pas plus qu'elle espère une promotion touristique.

L'expérience 90, qui rassemblait comme les autres années, deux générations d'artistes, a échoué sur un plan. Maria Nordman qui conjugue au hasard l'être et l'autre, et Jean-Michel Sanejouand qui, à force d'être en avance sur l'actualité de son temps, n'a toujours été perçu (pour les rares qui l'ont vu) que rétrospectivement, ne pouvaient que très partiellement échanger une expérience artistique, trop unique. C'est une des limites du projet : les deux groupes ne peuvent se rencontrer que si les expériences personnelles ont quelque affinité. Ou alors, si l'on souhaite l'osmose à tout prix, il faut chercher les uns chez les professeurs et les autres chez les sages étudiants. La France en compte beaucoup. Mais il n'y aurait pas d'art, il y aurait du concenssus et de l'éducatif.

(Il serait dommage que des artistes de "l'absence" : Nordman, Sanejouand, mais aussi Grand, Fabro, Turell, Barry ... ne trouvent pas avec d'autres, artistes de la "présence" ceux-là : Dietman, Kirkeby, Plensa, Schütte etc. une forme de présence continue, discrète comme un accueil permanent. Une thématique de l'apparaître et du disparaître, ou de la présence/absence s'impose autour du territoire de Zadkine.)

En 1990, le groupe de cinq, Aubry, Bouzid, Carré, Sans-Arcidet, Zagari, s'est comporté en groupe. Ils avaient le caractère complémentaire sinon l'oeuvre. La belle chose qu'ils aient faite c'est de souhaiter rendre hommage au village qui les avait reçu, en présentant, pour chacun d'eux, un travail inédit. Bouzid a raté sa pièce mais a gagné une exposition à Toulouse, Aubry a réalisé sameilleure oeuvre depuis des lustres, Carré a débordé d'énergie, Zagari a peint la chapelle après avoir séduit vicaire et propriétaire, Sans-Arcidet a obtenu la complicité du village pour réaliser un superbe mais désespéré scénario. Le dialogue avec le public fut heureux. Comme le Cahors. C'est parce que l'art retrouvait une certaine nature, un fond d'archaïsme déconnecté de tout souci de "productivisme", de fonctionnalisme et de communication. L'essentiel, la qualité, était là. On la devait aux artistes, au village, à l'Imprégnation.

A l'expéreience il est évident qu'il manque une intendance efficace. Par exemple un véhicule disponible, un soutien logistique. Et il manque certainement un accompagnement visuel : de ce genre d'exposition (rare) d'oeuvres contemporaines qui pourrait visualiser et formaliser des propos artistiques contemporains et complémentaires à ceux des artistes invités. Le dialogue entre l'objet d'art et le village serait alors à son faîte.
Thierry Raspail


Les artistes

Michel Aubry

Nasser Bouzid

Patrice Carré

Driss Sans Arcidet

Driss Sans-Arcidet Lacourt dit Le Musée Khômbol, né le 18 juin 1960 à Toulouse, est un plasticien et sculpteur français.

C’est en changeant la destination des objets et de leurs usages, quels qu’ils soient (livres, tiroirs, dents, casseroles, sculptures, outils médicaux, valises, annuaires), qu’il conçoit la majeure partie de ses créations. À l’image des cabinets de curiosité du XVIIIe siècle, Driss Sans-Arcidet s’entoure d’un univers fait de découvertes et de mystères. Depuis plus de vingt-cinq ans, ce plasticien, tel un conservateur ou collectionneur du monde contemporain, empile, entasse, fouine, des objets qu’il trouve ou qu’on lui donne, vestiges du temps qui passe, et les transforme pour leur donner une toute autre signification. Le Musée Khômbol présente ainsi décors fantasques et créations satiriques.

Au sujet de son atelier, il explique : « Il y a beaucoup d’objet autour de nous, mais ils ne sont pas ce qu’ils sont, cela veut dire que ce ne sont pas des vraies choses. Ce sont des objets que j’ai fabriqué ou que j’ai transformé. Seulement je les patine, je les vieillis… en effet on a l’impression d’être peut être chez Emmaus, chez un antiquaire, ou chez Jardiland, ça dépend de ce que l’on regarde ».

À travers son travail, Driss Sans-Arcidet, traite les questions du mythe, des leurres, des savants, de l’oubli, de l’amour, des figures historiques des régimes autoritaires ou totalitaires, des religions et forces occultes, de la pornographie et de l’érotisme, de la guerre, de l’invisible et de l’imaginaire, de la vie. « En somme : j'aime par-dessus tout, les explications, les démonstrations, la terrible arrogance de l'homme face à l'univers. »
Zoé Sans-Arcidet-Lacourt

Carmelo Zagari

Jean-Michel Sanejouand


Catalogue

Réalisation : Marie Angelé et Philippe Saulle
Maquette : Centre Régional d'Art Contemporain Midi-Pyrénées
Photogravure : Barès, Toulouse
Crédit photographique : Alain Auzanneau
Imprimeur : Tardy Quercy, Cahors
32cm x 24cm
Epuisé


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